" Le point de Tangence"
thème : La Mort partie 1
Conférence donnée par Jaya Yogācāra en cours de méditation le vendredi 9 fev 2018
C’est avec joie que nous nous retrouvons ce soir après plusieurs semaines de vacances.
Si vous vous souvenez du dernier cours, nous avions utilisé comme support de réflexion commune, la métaphore de la « Grenouille et de la marmite » décrite dans l’excellent livre d’Olivier Clerc. Souvenez-vous, l‘auteur y parle d’une grenouille qui dans une marmite, ne sait pas qu’elle est en train de cuire. D’une eau agréable, elle passe à une eau de plus en plus chaude et s’adapte finalement, acceptant l’inacceptable sans savoir, au point de plus avoir la force de réagir pour sauter hors de l’eau.
Nous avons mis en évidence les nombreux points que cette métaphore illustre.
Parmi eux, celui qui montre que dans l’existence, nous vivons parfois une détérioration souterraine qui échappe à notre conscience et ne suscite bien souvent aucune réaction ni révolte de notre part.
Cela aussi bien dans le domaine de notre santé, de notre environnement, de nos relations que de nos valeurs sociales.
Or, sans conscience, pas de libre arbitre.
Inconscient, l’homme dort, au propre comme au figuré.
L’homme endormi est la demeure des Dieux endormis !
C’est pourquoi « l’éveil » est l’objectif essentiel de toute science spirituelle.
Nous avons vu de même, qu’il nous faut des outils face à cela, à savoir ;
– la mémoire, afin de tirer les leçons de nos expériences,
– un thermomètre afin de pouvoir évaluer les situations. Cet instrument de mesure s’appuyant sur des valeurs et un idéal fondamental.
– l’effort et la prise de conscience. Rien ne doit doit être laissé à l’abandon et l’effort soutenu de la conscience vigilante doit être maintenu.
C’est là, une fois de plus, les outils habituels de votre pratique yoguique et l’éternel enjeu de votre cheminement spirituel.
Je m’efforce toujours, au fil du temps, de vous mener sur des objectifs et des défis élevés concernant la science du yoga, et nous avons beaucoup parlé ces derniers temps des siddhi सिद्धि, les pouvoirs des perceptions supérieures grâce au développement des Jñāna Indriya ज्ञान इन्द्रिय, des Tattva तत्त्व, des karma Indriya कर्म इन्द्रिय, et qui sont respectivement, les organes des sens, les cinq éléments, et les organes de l’action.
Je m’évertue de même, d’être toujours vigilante à vos besoins du moment et à vos expériences quotidiennes.
Ces derniers temps, certains d’entre-vous ont été confrontés à des maladies graves, quand ce n’est pas à la disparition d’êtres chers.
Je voudrais donc revenir sur un thème qui n’est pas forcément joyeux pour une reprise, mais qui reste incontournable sur votre chemin de vie.
La vie est difficile, la vie est douloureuse. La souffrance existe partout.
Quand nous observons les sociétés orientales, les plus traditionnelles semblent porter avec résignation leur Dharma धर्म, en s’abandonnant à Dieu.
Au-delà des apparences, ce sont finalement les sages et les yogis qui nous en révèlent la vérité.
Ces derniers vous enseigneront toujours d’enlever définitivement l’idée que les épreuves de la vie vont disparaitre. Les épreuves, les coups durs, les trahisons, les situations lourdes à porter, ne disparaîtront jamais de votre vie.
Ce qui peut disparaître, c’est la souffrance elle-même, du moins elle peut grandement diminuer.
Vous pouvez être heureux dans le monde tel qu’il est et non en poursuivant des rêves irréalisables. Vous devez en tous cas, apprendre à l’être.
Il vous faut comprendre que la souffrance peut cesser d’être douloureuse et surtout que le bonheur peut vraiment être heureux.
Un des aspects nombreux de l’ignorance fondamentale, Avidyā अविद्या, est de croire que le malheur est douloureux.
En nourrissant une telle idée, vous nourrissez les entraves à penser que le bonheur puisse être totalement heureux.
Vous vivez très souvent des moments de bonheur supposés être des moments heureux avec en arrière plan, une peur. Vous alimentez inconsciemment le retour des mauvais souvenirs, et ils sont toujours là, sous-jacents. Vous les projetez dans vos émotions, vos expériences, voire dans l’avenir. Ce sont ces mécanismes, cette peur, qui vous empêchent d’être unifié dans l’ ici et le maintenant et de vivre pleinement le bonheur.
Toutes ces heures de méditation, de concentration, de connaissance, de maitrise ont pour but de vous apprendre entre-autres, à être en paix, serein, à défaut plus calme, dans une situation terrible.
La souffrance n’a jamais épargné les sages, mais le réel bonheur a fait partie de leur vie !
Vous avez été très souvent malheureux, mais avez-vous été vraiment heureux ?
Vous souvenez-vous d’avoir vécu un très grand bonheur ?
Vous avez été probablement relativement heureux, mais vous avez toujours vicié ces moments potentiels de bonheur par une dualité, des souvenirs de la souffrance de vos expériences.
Vous n’êtes pas libre intérieurement de vos propres peurs.
Il vous faut donc commencer à ne plus avoir peur de la souffrance.
C’est cette attitude de vigilance qui vous permettra d’être libre et serein dans des situations terribles. Il vous faut faire une bascule en vous intérieurement, cesser d’avoir peur et ne jamais oublier cependant que la souffrance ne disparaitra jamais de l’existence.
Il vous faut regarder la vie en face.
Prenons le sujet de la mort, par exemple.
C’est un sujet de réflexion incontournable dans l’étude spirituelle et qui fut abordé
par de grands maîtres et de grands philosophes.
Au-delà de la considération métaphysique, la mort est déjà une réalité physique. Socialement, elle est un phénomène naturel traité sans état d’âme, au même titre que le mariage, la natalité, le vieillissement, la jeunesse, etc.
Pour le médecin, le phénomène létal est un phénomène prévisible et biologique.
Tout cela enlève le caractère tragique de l’événement. En réduisant l’importance métaphysique de la mort, la société en fait un phénomène relatif éloigné de nous.
Or, pour celui qui perd un être proche, l’ipséité, l’individualité de la personne disparue demeurent irremplaçables et ne pourront être compensées.
La mort est finalement impensable.
Nous pouvons penser à la mort mais nous ne pouvons pas penser la mort.
Lorsque nous pensons à des êtres connus et disparus, quand on y pense, à quelque moment qu’on les pense, ils sont des êtres vivants.
Qui pense à la mort, pense la vie. L’homme semble déterminé à ne pouvoir penser à la mort que par la pensée positive d’un vivant mortel.
Mais penser la mort elle-même est impossible. Nous n’en avons pas personnellement l’expérience.
Les sages sont là pour inviter celui qui oublie, (et ils sont nombreux ), à se rappeler sans cesse ce qu’il ne peut penser. « Il me faut mourir un jour ! »
Si nous avons tant de mal à penser à la mort à partir de notre état de vivant, c’est qu’elle n’est peut-être pas faite pour qu’on y pense ?
La vie prend toujours le dessus. Le problème de la mort est un problème apparemment insoluble qui met l’intelligence ordinaire à rude épreuve, voire l’annihile.
La nature semble t-il, tient à nous cacher notre fin en nous empêchant d’y penser, en la rendant invisible. La nature semble nous détourner d’une connaissance éminemment contraire aux desseins de la vie et de l’espèce. D’ailleurs dans la vie ordinaire, le commun des mortels ne prend pas conscience des battements de son cœur et de son souffle. Sauf les yogis ou les sportifs !
« Une finalité protectrice empêche l’homme de penser à sa propre mort », nous dit le philosophe V.Jankélévitch.
Pour le yogi, ce trait de caractère de la nature humaine est plutôt un état inconscient devant la tragédie intérieure. Le divertissement de la vie détourne de la connaissance de la grande réalité.
Il est en effet impensable à l’homme ordinaire d’appréhender son propre anéantissement. La grande inquiétude du futur est le moment à-venir de la mort.
L’angoisse ultime est la Mort, mais cette angoisse ultime semble toujours lointaine, souterraine. Elle est tapie au fond de toute profondeur. Elle est un état de non-être, une bombe à retardement dans cette vie positive et active.
Même si parfois dans la vie, des signes avant coureurs pourraient nous faire penser que nous lisons la mort en filigrane sur les traits d’un malade, d’un vieillard, en fait, le mystère de la mort peut se révéler à tout moment quel que soit l’âge de la vie. Elle est donc difficilement localisable puisqu’elle peut surprendre.
Elle semble un universel malheur, une impondérable épée de Damoclès qui pèse sur l’existence. C’est une malédiction commune à tous.
Appréhendée ainsi, elle apparaît terrifiante.
Notre propre mort semble être un avenir qui n’arrivera jamais, car il est abstrait à nos yeux.
Les hommes ordinaires se présentent devant la mort bien souvent en état d’improvisation.
L’homme pleinement vivant réalise devant la mort de l’autre, la fraternité du destin. Le drame du « Je « éveille dans le « Nous » un écho, mais le « Nous » renvoie sans cesse à l’expérience solitaire du « Je ». L’événement de la mort garde mystérieusement pour chacun un caractère intime et personnel, nous dit le même philosophe.
Chacun doit mourir pour son propre compte et seul.
Nous l’oublions trop souvent, ou du moins nous évitons d’y penser.
Mais le sage qui est établit dans la non peur, est heureux aussi bien seul qu’avec les autres. Il est davantage préparé à affronter le grand départ.
Dans l’existence, nous établissons des distances de sentiments différentes envers la mort.
– Il y a la distance du « Il », à savoir lorsque nous sommes face à l’anonymat de la mort d’une tierce personne.
– Il y a la distance du « Je », face à la subjectivité tragique de notre propre mort, à notre anéantissement.
– Il y a enfin celle du « Tu », celle de la deuxième personne, à savoir celle du Toi, qui semble finalement en tant qu’expérience à laquelle on survit, la plus douloureuse.
Entre la mort d’autrui, qui est lointaine et indifférente, la mort personnelle, il y a la proximité de la mort du proche.
Le Toi est le premier Autre, le non-moi en contact en un point de tangence avec le moi, dans une infinitésimale distance, à l’endroit de la limite de l’altérité.
Aussi, la mort d’un être cher est-elle presque comme la nôtre, presque aussi déchirante que la nôtre. La mort d’un père ou d’une mère est d’une certaine façon, vécue comme notre mort propre. C’est l’inconsolable qui pleure ici l’irremplaçable, l’inestimable individualité qu’est le toi, mon toi proche et tant aimé.
Une mère restera inconsolable de la mort d’un enfant, au point de vouloir mourir pour cette perte.
Quant à la mort de nos parents, elle fait disparaître l’intermédiaire mort interposée entre la mort de l’inconnu, celle du Il, et notre mort personnelle.
L’intérêt biologique de l’espace n’est plus.
L’amour du parent, sa sollicitude qui nous protégeait tant du néant s’est déplacée en nous laissant en tête à tête avec la mort.
Cependant, l’individu tant aimé, qui est comme moi-même, n’est cependant pas moi-même.
L’amour du Moi au Toi n’empêche pas la séparation physique de deux êtres.
C’est pour cela d’ailleurs que l’on y survit la plupart du temps, car mon cœur ne bat dans ma poitrine que pour moi comme son cœur ne battait que pour lui, chacun dans la solitude de la carnation.
L’amour n’enlève pas la séparation des deux identités mais les relie dans une communication sacrée. Si l’amour, fait que nous vivons la mort du proche comme notre propre mort, ce voisinage familier nous permet toutefois de penser la mort d’autrui comme une mort étrangère à nous.
Cependant, la puissance de l’amour dans cette proximité intime du Je au Tu, crée une distance minimale entre un vivant et un mort.
C’est une situation exceptionnelle et bien que tragique, c’est une expérience dans laquelle nous approchons la loi universelle, loi de la nécessité d’un ordre général et qui nous concerne chacun.
C’est spirituellement, une expérience privilégiée qui peut nous projeter dans une grande intuition et nous révéler « JE SUIS CELA aussi », le fameux « Tat Tvam Asi तत्त्वमसि ».
L’univers sait ce qu‘il fait ! Ce que les sages ne cessent de vous dire.
Le problème de la mort est le plus grand problème qui soit. Incontournable, la mort est pour le sage, le moyen de retourner à la maison, de retourner à sa dimension subtile et divine, à l’état d‘ êtreté pure. voir conf « Je suis l’Océan »
Toute la vie permet cet apprentissage, apprendre à disparaître.
Quand vous disparaissez à votre individualité, apparaît alors en vous, votre dimension absolue.
Hari om tat sat
Jaya Yogācāra
Bibliographie :
– « Pour une mort sans peur » d’Arnaud Desjardin aux edts la Table ronde
– « Un art de vivre et de mourir » d’Osho aux edts du Relié
– « La mort » de Vladimir Jankélévitch aux edts Flammarion
– commentaire et adaptation de Jaya Yogācāra
Messages
1. Le point de Tangence, 16 février 2018, 11:58
VIVONS AVEC JOIE CETTE NOUVELLE RENTREE YOGUIQUE
1. Le point de Tangence, 16 février 2018, 16:10, par nicole Garcia
Notre petit sac de jeune sadhac insouciant, s’est une fois de plus enrichit ! Ainsi va la vie , écoutons avec ardeur les battements de notre coeur et la douce chanson de notre souffle, gardons les yeux ouverts pleins de vigilance.
L’Univers sait ce qu’il fait........Il vous a mise, Cher Guide, sur notre route, et c’est avec une totale confiance que nous nous délectons de votre enseignement.
Puisse-t-il nous apprendre à dompter la mort et à être heureux à ses pieds.
Avec toute ma gratitude, mille mercis............Ngico
2. Le point de Tangence, 20 février 2018, 07:13, par Cécile
Reprendre la pratique au centre Jaya EST une joie ! Mais cette joie ne doit pas nous faire oublier .... l’éphémère.
Merci mille fois de nous rappeler qu’il faut voir la réalité telle qu’elle est, et non telle qu’on voudrait qu’elle soit.
Merci mille fois de nous rappeler qu’il faut rester humble devant la vie. Rester humble pour vivre pleinement les petits bonheurs de chaque jour. Rester humble et accepter l’impermanence de toute chose, NOTRE impermanence.
Merci mille fois de travailler passionnément, patiemment et généreusement afin que nous grandissions et ouvrions toutes les portes, notamment, celle du cœur-conscience.
Ma gratitude envers le guide précieux que vous êtes est infinie.
3. Le point de Tangence, 2 mars 2018, 12:00, par Frédéric Grondin
Bonjour Jaya. Merci de nous ouvrir les yeux sur la question de la mort. Vos conférences à ce sujet m’ont fait comprendre qu’une vraie mort pour moi aurait été de ne pas avoir connu ce centre de yoga.