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L’aptitude



L’aptitude

Conférence donnée par Jaya Yogacharya en cours de méditation du 12 sept 2014


Je vais commencer par vous raconter une histoire que rapporte l’auteure et indianiste Tara Michael.
« Deux hommes se mirent à invoquer la Déesse Kali, en employant le rite terrible que l’on appelle Shâvasadhanâ (rite tantrique célébré la nuit dans un champ d’incinération et où le Sadhaka, (le pratiquant) doit s’asseoir sur un cadavre et affronter tous les symboles de la mort. L’un des adorateurs fut épouvanté jusqu’à devenir fou par les terrifiantes visions qui se manifestèrent pendant la première partie de la nuit, tandis que l’autre eut, vers l’aube, la faveur d’une vision de la mère divine. Il demanda alors à la déesse : Mère, pourquoi mon compagnon est-il devenu fou ? La divinité répondit ; Toi aussi, mon enfant, tu devins fou maintes fois dans tes vies précédentes et aujourd’hui finalement, tu es parvenu à me voir. »



Déesse Kali

Nous avons ici l’histoire de deux personnes, celle qui réussit et celle qui échoue et qui représente la double possibilité à laquelle chacun de nous est confronté dans notre cheminement spirituel.
Celui qui entreprend le yoga avec foi mais n’atteint pas la maîtrise et dont le mental dévie et erre hors de la voie, celui qui n’arrive pas à atteindre la perfection en yoga, quel est finalement son sort ?

Nous savons bien que ce n’est pas en fonction des critères de race, de sexe, de moralité ou de croyance que l’on peut avancer sur la voie du yoga de l’éveil de la shakti.
Les hindous orthodoxes vous diront que les aptitudes (adhikâra) à poursuivre ce chemin sont déterminées par les samskâra des existences passées. On pourrait penser que c’est là une affaire de croyance.
Sur ce chemin, une femme peut jouer le rôle de guru pour un homme, un paria peut s’élever au-dessus d’un brahmane, un illettré peut remettre en question un érudit, car seule la puissance de l’expérience permet d’atteindre les résultats escomptés.
Pour comprendre les qualifications nécessaires, il nous faut revenir sur la notion des trois gunas. Satva, est le fait de l’êtreté nous dit P.Feuga, à savoir, ce qui dans la nature reflète la pureté. Rajas, est l’impulsion expansive et passionnelle et Tamas, la lourdeur, l’opacité et l’ignorance.
Les satviques sont des êtres spirituels par essence, les rajasiques sont plutôt psychiques et les tamasiques des êtres physiques au sens péjoratif du terme.
Luminosité, légèreté, transparence distinguent les premiers. Dynamisme, affections et émotions riches et tumultueuses caractérisent les seconds et l’aveuglement du troupeau et son inertie caractérisent les derniers.
Est-ce à dire qu’il y aurait le bétail, les héros et les dieux ?


Ce n’est pas si simple et chaque individu n’est pas une seule de ces qualités mais une tendance intermédiaire faite souvent de deux gunas, tels que
sattvo-rajasique ou rajaso-sattvique par exemple.
Les premiers vivront la quête spirituelle comme un combat chevaleresque ou comme un amour fou, transposant dans l’ordre divin les qualités ou défauts humains.
Les rajaso-sattviques, quant à eux, ne sont pas forcément habités par un élan spirituel conscient mais sont très aimantés par le processus de la passion exclusive qui peut les amener à un degré de transcendance, tels que les grands artistes, les savants, les héros.

Pour l’hindouisme, ce qui est bon pour l’un peut être désastreux pour l’autre.
Ceci explique l’immensité des voies possibles pour accéder à la dimension divine.
Ce qui est important, c’est de s’engager sur une voie en accord avec ses qualifications et sa vraie nature. Si un individu borné, conformiste, douteux, s’aventure sur le chemin du yoga, il perdra son temps et en fera perdre aux autres.

Trois dispositions caractérisent les individus. On appelle ces dispositions, bhâva.
Pashubhâva, la disposition animale,
Vîrabhâva, la disposition héroïque,
Divyabhâva, la disposition divine.
Dans le bouddhisme, on qualifiera les « divyabhâva » de joyaux, les « vîrabhâva », « ceux à l’esprit pénétrant » et les pashubhâvas, les médiocres.
Ensuite, viendraient les imbéciles ! Ceux-là, sont dits chercher dans la science de la kundalini et du yoga les pouvoirs magiques vulgaires qui leur permettraient d’agir sur le monde phénoménal. Tout l’aspect transcendant leur échappe.
Dépourvus d’éducation spirituelle, ils consomment la spiritualité.
Quant à tous les autres, ceux dont on ne parle point ici, c’est qu’ils ne peuvent même envisager de s’engager dans le travail de la connaissance de soi...


Maheswari et moi-même avons très souvent des conversations sur nos élèves, sur leur engagement, leur réaction, la qualité de leur pratique, leurs choix, leurs soins et leurs plaies, leurs complaintes et leurs prétentions.
Rien ne nous échappe.
Je suis très souvent désespérée du manque de constance, d’effort et de courage que nous rencontrons chez beaucoup.
Comme si le pouvoir couvrant de la réalité pesait sur les consciences. Les clés sont là et vous les oubliez. Nous mettons beaucoup d’énergie à vous les donner.
Vous êtes très souvent des feux de paille !
Vous vous emballez et trois mois ou un an après, vous êtes partis faire autre chose. Certains ouvrent pignon sur rue, un vortex spirituel (c’est à la mode ) après avoir fait un stage de yoga débutant de 1mois et demi au centre Jaya !
Ou bien, vous êtes repartis vers une activité bien excitante, et bien éloignée de la quête intérieure.
Maheswari avec son grand détachement, me rappelle sans arrêt à l’ordre sur mes illusions, mon altruisme, mes attentes spirituelles vous concernant et votre réactivité à progresser, à grandir.
Elle est tout à fait blindée sur votre capacité à partir un jour sans dire merci.

Elle n’attend rien, et j’attends tout.

J’attends tout de vous, le meilleur, le plus haut, le plus grand, le plus noble. J’attends que vous puissiez réveiller pour vous-même la beauté de votre être, son intelligence.
C’est pour cela que je suis souvent déçue. Mais si devenez un vrai chercheur, à un moment, je vous reconnais. La relation d’un guide à ses élèves est faite aussi de ce total amour.
A moi bien sûr, de mettre des limites à l’impact que font les vôtres sur moi-même.
Pour cela, il me faut être dans la quête ininterrompue et ascendante de la connaissance spirituelle. N’avoir que d’yeux vers le subtil.

Qui dans la société d’aujourd’hui, prend soin du meilleur de vous-même ?

Lorsque nous vous écoutons, vous recevons, au début du chemin, nous intégrons tout votre être avec ses faiblesses et ses inerties, mais aussi ses potentiels d’éveil et sa quête.
Vos deux guides ont alors la même compassion à votre égard.
Ensuite, il y a ceux qui restent dans cette inertie et ne désirent qu’une chose, y être bercés et confortés. Maheswari a une très grande patience à ce niveau-là envers vous, et elle vous attend dans l’écoute psychologique et les soins, elle vous donne les seules clés que vous êtes capables de porter.
Moi, je vous mets des barreaux d’échelle sous les pieds et vous demande de grimper.

Les pashu, c’est un peu tout le monde, ce sont les gens comme on dit, normaux, moraux, irréprochables selon les critères sociaux, voire cultivés, bien dans leur rang social, leur famille, leur rôle.
A l’autre bout de l’échelle, se situent les divya bhâva, les sages, les yogis, les éclairés, les libérés.
La société contemporaine les a perdu de vue.
Il y en a peut-être de moins en moins sur terre.
Le monde cacophonique d’aujourd’hui n’entend plus leur parole.
Il y a tant de livres sur la soi-disant sagesse, écrits par tant de gens soi-disant sages, que la vraie sagesse se cache ailleurs. Elle s’écrit autrement.

Quant aux Vîrabhâva, les guerriers, ils sont les tantrikas de la voie héroïque, les actifs, ceux qui ont l’audace de vivre à leur gré dans ce monde.
La vîra-sâdhana, la voie héroïque est du reste une appellation courante du tantrisme en général. C’est cette capacité à appliquer dans sa vie et avec autant de force les principes de quête de liberté et d’expérience de l’énergie expérimentés dans la pratique. Cette voie est aussi dangereuse que de tenir un cobra dans sa main.
Pour cela, Le vîra doit détruire certains liens tels que l’aversion, le doute, la peur, la honte, la médisance, l’arrogance, le conformisme et la fierté.


Pour s’attaquer à un défaut, les maîtres vous diront de ne pas à s’attaquer à lui directement mais de cultiver la qualité contraire.

Dans le tantra, sont renvoyés dos à dos les extrêmes afin de retirer à l’égo tous ses repères moraux et intellectuels. La dureté du cœur et la compassion par exemple dépendra du pratiquant et ce sur quoi il doit travailler.
Une des grandes clés du Tantra repose sur l’attitude face aux passions en général.
Toute voie spirituelle traditionnelle les considèrera comme des obstacles.

La voie du guerrier repose sur le fait que l’on peut atteindre l’accomplissement par cela même qui conduit à la chute, proclame le Kularnâva-tantra.

Dans chaque passion humaine se dissimule une shakti considérable.

Il faut donc savoir sortir de la réaction banale et habituelle des émotions ou sentiments pour les envisager en pures énergies.
Si elles sont négatives, cela revient à les observer de façon passive et percevoir la force subtile qui les anime, puis transformer cette énergie positivement.
Dans le ressenti de la peur ou de la haine, le Vîra-bhâva tentera de percevoir l’énergie originelle de ce sentiment, non mentalisée, comme une énergie vibratoire que l’on peut transformer en feu purificateur.
C’est ce que les Tantras appellent Icchashuddhi, la purification du vouloir.
Cela ne veut pas dire qu’il faille s’adonner à toutes les pulsions sauvages au nom de l’expérimentation.
Cette Icchashuddhi peut être appliquée dans l’amour et le désir en tant qu’énergie transcendante et libératrice. Et c’est surtout là, qu’elle prend tout sa dimension.
Mais attention, avant de s’y essayer, il faut être sûr d’en avoir la carrure, sinon vous vous engagerez dans des choix ou des actions qui vous brûleront tout vif.

Revenons donc à nos deux pratiquants assis sur le cadavre. Qu’arrivera-t-il à celui qui échoue dans sa tentative ?
Comme un enfant qui apprend à marcher, tombe et se relève, toutes les chutes, les échecs, les erreurs dans la voie du yoga ne sont que des pauses dans l’expérience qui continue par-delà la mort, nous dit la Bhagavad gîta. Ce qui compte c’est le dynamisme intérieur profond et non les obstacles qui semblent surgir de l’extérieur ou de notre mental.
Les vrais pratiquants de yoga, les Vîra, combattront une vie entière et ni la folie ni la mort ne les effrayera ni ne les brisera.
Par contre, le doute en réalité est un de plus grands dangers, car il est ce par quoi nous nous divisons contre nous-mêmes et ce par quoi nous nous privons de notre propre force.
Sans nos encouragements, sans nos confirmations de vos expériences, sans notre assistance experte et sans notre regard attentionné sur vous, votre chemin spirituel risque d’être un chemin isolé, plein de doute obscurcissant votre propre soleil.


« Un jour, Râmakrishna en traversant la Panchavatî, entendit une grenouille qui coassait effroyablement, probablement prise dans les crocs d’un serpent. Il passa son chemin et lorsqu’il repassa longtemps après, il entendit les mêmes cris. Regardant dans le buisson en question, il vit un serpent d’eau avec une grenouille dans sa gueule mais si grosse qu’il ne pouvait ni l’avaler ni la rejeter et l’agonie de la grenouille était interminable. Si ce fut un cobra, pensa-t-il, cela aurait été la fin des souffrances de la grenouille en trois coups de crocs mais aussi la fin de celles du serpent. »

Autrement dit, attaquez-vous à ce que vous pouvez digérer.
Et ne soyez pas la grenouille de n’importe qui !


Hari om tat sat
Jaya Yogacharya


Bibliographie :
« Le yoga de l’éveil » de Tara Michael aux edts Fayard.
« Tantrisme, doctrine, pratique art rituel » de Pierre FEUGA aux edts Dangles.
Commentaires et adaptation de Jaya Yogacharya

Messages

  • Chére Jaya,
    C’est avec beaucoup d’émotions que j’ai lu cette conférence.
    La voie du yoga nous demande beaucoup d’efforts, de persévérance et de constance dans la pratique.

    J’ai parfois le sentiment que nous ne sommes pas dignes de recevoir vos enseignements. Nous gardons notre cote "pashu" et consommons cette connaissance subtile sans apprécier sa vraie valeur.

    Je m’excuse pour toutes les fois où j’ai pu vous décevoir.
    Mais, rassurez vous, je me battrai contre moi même pour continuer à avancer sur cette voie. Votre présence à mes côtés est un grand atout. Et sachez que même si le lotus n’a pas encore germé, la graine que vous avez semé est bien en moi et fait son petit bonhomme de chemin !
    Prenez soin de vous.
    Votre élève.

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